Suisse-Regard

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L'européanisation de la politique suisse

L'Hebdo.ch

 

Le 27-10-2015

Politique Suisse

 

Par Gilbert Casasus

 

« C’est la faute de l’Europe » ! Du moins, est-ce là, selon le Bild, l’avis du politologue Claude Longchamp pour qui « le scepticisme à l’encontre de l’UE est la principale cause du virage à droite » de la Suisse. Une telle analyse n’a rien de surprenant, car elle s’inscrit parfaitement dans une phraséologie antieuropéenne à laquelle l’UE a eu le temps de s’habituer. Bouc-émissaire tout trouvé pour endosser la responsabilité de tous les maux qui nous entourent, l’UE est désormais livrée à la vindicte populaire par tous les nationalistes européens. Qu’ils proviennent de ressortissants communautaires ou non, les paroles et les slogans antieuropéens ne varient pas d’un pays à l’autre. Idem pour le nôtre. Et quitte à tirer une conclusion, passée d’ailleurs au travers de l’immense majorité des commentaires postélectoraux, la politique intérieure suisse s’est largement européanisée depuis le 18 octobre 2015. Mieux : c’est à son parti le plus antieuropéen, à savoir l’UDC, que la Suisse doit l’européanisation de sa politique intérieure.

 

Pour s’en convaincre, rien de mieux que de jeter un regard hors des frontières helvétiques. Du « parti pour la Liberté » néerlandais au FPÖ autrichien, né de ses antécédents nazis, de l’UKIP britannique au PIS polonais, tous les arguments ressemblent à ceux déployés durant la campagne par « l’Union démocratique du Centre ». Celle-ci ne fait donc nullement exception à la règle. De fait, ce que Christoph Blocher est à Viktor Orban, Toni Brunner l’est à Marine Le Pen. La défiance antieuropéenne est devenue le fonds de commerce d’une droite antiparlementaire qui se sert à la perfection de l’instrument électoral, et si possible référendaire, pour démolir à petit feu ce que les révolutionnaires de 1789, les libéraux de 1848 et les démocrates de 1945 ont jadis bâti de leurs mains et construit dans leur tête.

 

Par conséquent, nul n’est en droit de nier l’évidence : la droite extrême se décline à l’heure du temps présent, dans le seul but de prendre sa revanche historique sur ce qu’elle n’a jamais intériorisé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à savoir la démocratie représentative européenne. Plus que jamais, elle profite des répercussions structurelles d’une crise qui, sous l’effet de la mondialisation et de la globalisation, trouve principalement ses causes et ses racines hors du périmètre européen. L’Europe n’est alors qu’un champ de bataille d’une guerre économique et sociale qu’elle n’a elle-même ni désirée, ni provoquée. Elle en est la victime, mais refuse souvent de le reconnaître, car elle a peur. Peur d’elle-même et plus encore peur des gens qui savent faire peur. Et là aussi, la Suisse est un pays européen comme un autre.

 

De crainte d’ouvrir la boîte de Pandore institutionnelle, qu’elle soit communautaire ou nationale, l’Europe continue de vivre dans un déni politique, dont elle n’a pas encore pris conscience. Alors que le traité de Lisbonne ne survit que par sa légalité et non pas par sa légitimité, les systèmes politiques des États européens se heurtent au mieux, comme en Italie, au refus des conservateurs de les réformer en profondeur, au pire au manque de courage d’en savoir changer à temps. Bien que cela ne soit plus un secret pour personne, la Ve République française est à bout de souffle. Même l’Allemagne n’est pas à l’abri d’un tel débat, si elle devait continuer à n’être gouvernée que par des « grandes coalitions », faute d’instaurer une part de vote majoritaire pour la composition à venir de son Bundestag. Quant à la Suisse, grand bien lui fasse également de ne pas se reposer, ici, sur ses lauriers. Elle pourrait le regretter, et plus vite qu’elle ne le croit elle-même.

 

La politique suisse n’aura peut-être plus rien de magique. Du déroulement de la prochaine législature, qui prendra effet à la fin de cette année, ne dépendra, ni plus ni moins, le sort d’un consensus helvétique, qui entre-temps se distingue non par son exemplarité, mais par ses mythes fantasmagoriques. Par le recours fréquent, virulent, sinon violent à la procédure référendaire, l’UDC a ostensiblement dénaturé l’esprit du système politique suisse instauré en 1959. Pour tout observateur extérieur, mais aussi intérieur, la politique fédérale repose désormais non sur une culture du pragmatisme, mais sur celle de l’affrontement. Indéniablement, la Suisse des années 2000/2010 est devenue un pays de confrontations politiques. Ses débats politiques ressemblent, à s’y méprendre, à ceux qui se déroulent chez ses voisins et dans d’autres États de l’UE. S’éloignant de la tradition d’une société consensuelle, elle semble opter pour le modèle d’une société conflictuelle. C’est son choix et son droit. C’est en premier lieu, ceux de ses électeurs qui non seulement ont adopté des initiatives aux objets controversés, mais aussi fait de l’UDC le plus grand parti de la Confédération. A moins qu’une fée puisse d’un seul coup de baguette encore restaurer ce que certains osent toujours appeler « une formule magique »… A condition toutefois de se rappeler qu’Helvetia n’est qu’une figure allégorique, alors qu’Europe est une déesse !



09/11/2015
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