Suisse-Regard

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La droite extrême et la société de régression

L'Hebdo.ch

 

Le 1-10-2015

Politique Internationale

 

Par Gilbert Casasus

 

Que ce soit en Autriche, en France, aux Pays-Bas, en Scandinavie, en Suisse, mais pas en Allemagne, tout au moins pour l’instant, la droite de la droite représente environ 30% de l’électorat. Elle vole de succès en succès et rien ne semble plus pouvoir arrêter sa marche vers la victoire. Bien que très légèrement inférieur à celui qu’avait obtenu le NSDAP en 1932, ce pourcentage est supérieur aux scores que l’extrême droite a enregistrés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 

Le danger de la droite extrême ne provient plus uniquement de son extrémisme, mais de l’acceptation de son extrémisme. Autrefois bannie du champ démocratique, la droite de la droite fait désormais partie de la vie politique. En effet, elle a réussi à obtenir ce que l’on n’aurait jamais dû lui accorder, à savoir une légitimité électorale et idéologique. Qualifiée par ce mot si ambigu de « populiste », elle bénéficie alors d’une reconnaissance populaire, inimaginable il y a encore vingt-cinq ans. Ainsi sa force ne réside plus dans son refus du système démocratique, mais dans la faiblesse d’un système démocratique immunodéficitaire qui n’est plus capable de prévenir une profusion de bactéries extrémistes.

 

De fait, ce n’est non seulement la droite extrême qui fait peur, mais la place que la démocratie lui a octroyée en son sein. Courroie de transmission entre la droite traditionnelle et la droite fasciste, elle domine de plus en plus ses rivaux politiques et se présente sous les traits d’une hydre à deux visages. Dévoilant habilement son côté pile de l’ultra conservatisme néolibéral, elle cache volontairement son côté face du social-nationalisme. Souvent sortie en tête de nombreux scrutins, comme en Suisse, elle ne craint plus pour sa respectabilité, tant la société lui a conféré son once d’honorabilité.

 

Aujourd’hui, les partis au pouvoir appréhendent la droite extrême avec anxiété, car ils n’ont pas su contenir certaines dérives intellectuelles dont ils portent eux-mêmes une part de responsabilité. Satisfaits de leur victoire sur le communisme soviétique et sur le socialisme archaïque, ils ont trop souvent fait le lit d’une extrême droite qui n’en espérait pas tant. Tel est notamment le cas du néolibéralisme. Arrogant à l’égard d’une gauche traditionnelle en perte de vitesse, il n’a pas toujours su résister aux appels de la xénophobie, quitte à épouser quelques autres idées extrémistes, jusqu’à divorcer avec les principes et règles qui avaient contribué au succès de la pensée démocratique. Contaminée par le virus de la doctrine inégalitaire, l’idéologie dominante a ainsi pris congé de la société du progrès pour s’identifier avec celle de la régression. Par conséquent, la lutte contre l’extrême droite demande un nouvel effort qui, en référence à Antonio Gramsci, passe inexorablement par une reconquête de « l’hégémonie culturelle ». Changement de paradigme politique, le combat anti-extrémiste ne passe donc plus par la seule dénonciation de la droite extrême, mais par la dénonciation d’une société qui, en légitimant et légalisant l’extrême droite, régresse tous les jours un peu plus.

 

A l’opposé d’une lutte de classes - vestige, paraît-il vieillot, d’un affrontement inapproprié et inadapté aux temps modernes -, la politique a préféré un schéma simpliste. Sa principale caractéristique réside dans une nouvelle répartition des rôles. Autrefois, l’adversaire se situait en haut ; aujourd’hui, il se trouve en bas. Naguère, doté d’une conscience de classe, le prolétariat s’en prenait à la bourgeoisie. Maintenant, la plupart du temps privé du moindre repère intellectuel, les ouvriers s’attaquent à celles et ceux qui pourraient leur ôter leur emploi. Le méchant, ce n’est plus le patron, ce n’est plus le banquier, mais l’immigré, le sous-payé qui accepte même de travailler plus pour gagner moins. Opposant les démunis aux encore plus démunis que soi, la société de régression ne contente non seulement le capitaliste, mais aussi l’extrême droite. Tandis que le premier se félicite de de la concurrence au meilleur prix du marché, la seconde se présente comme l’avocate privilégiée de ce qu’elle nomme elle-même les invisibles. Le piège alors se referme sur les partisans d’une société solidaire, chacun préférant se réfugier dans la défense de ses intérêts égoïstes. C’est bien joué, sauf que la principale victime n’est autre que la démocratie et les valeurs qu’elle incarne.



09/11/2015
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