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Le frappant télescopage entre la sortie du livre de Houellebecq et l’attentat contre « Charlie Hebdo »

Le Monde.fr

 

09.01.2015 à 07h24

Politique Internationale

 

Par Raphaëlle Leyris

 

Il était à la « une » du dernier numéro de Charlie Hebdo, paru le jour même de l’attentat. « En 2015, je perds mes dents, en 2022, je fais ramadan », y annonçait le « mage Houellebecq » croqué par le dessinateur Luz. Référence à la sortie, ce jeudi 7 janvier, du roman Soumission (Flammarion, 320 p., 21 €, lire Le Monde du 7 janvier), politique fiction imaginant l’arrivée à l’Elysée, dans sept ans, du candidat d’un parti nommé Fraternité musulmane, et l’islamisation de la France qui s’ensuivrait.

La veille, l’écrivain avait eu les honneurs du journal télévisé de France 2, où il fut interrogé par David Pujadas - l’un des figurants de son roman – et, le matin même, ceux de France Inter, dont il fut l’invité pendant plus d’une heure, convié à répondre aux questions des journalistes politiques de la station et des auditeurs; la plupart eurent trait à l’islam.

Et puis, à 11 h 30, deux hommes ont perpétré un carnage à la rédaction de Charlie Hebdo, et la fiction s’est faite écraser par la réalité.

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A 13 heures, la maison d’édition Flammarion est évacuée, et placée sous la protection de la police pour la journée, par crainte que le battage médiatique entourant la sortie du livre, la tonalité de celui-ci, montrant un islam soumettant la France et l’Europe, et le souvenir des déclarations de l’écrivain au mensuel Lire, en 2001, sur cette religion jugée « la plus conne » ( qui lui avaient valu d’être poursuivi, puis relaxé) n’aient fait de Michel Houellebecq une cible pour les fondamentalistes.

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Le lendemain, dans la soirée, François Samuelson, son agent, fait savoir par un communiqué à l’AFP que l’écrivain suspend la promotion du livre, « profondément affecté par la mort de son ami Bernard Maris » — ce dernier, l’une des douze victimes de l’attentat, avait fait paraître en septembre l’essai Houellebecq économiste (Flammarion).

Avant de quitter Paris « pour se mettre au vert, à la neige », sans bénéficier d’un dispositif de protection selon son agent, l’auteur de Soumission a enregistré une interview avec Antoine de Caunes, pour diffusion le vendredi soir. Il était initialement prévu que Houellebecq soit l’invité exclusif du Grand Journal et du Petit Journal de Canal + le jeudi; cette émission au dispositif exceptionnel a été remplacée par une soirée spéciale Charlie Hebdo.

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Télescopage

Etrange effet de collision, décidément, entre deux événements, la sortie d’un roman et un acte terroriste, sans rapport direct entre eux, mais que leur concomitance, après plusieurs jours de marathon médiatique de l’écrivain, ainsi que la place du thème de l’islam au sein de son roman et de son discours promotionnel, a rapproché dans les esprits.

C’est Manuel Valls qui a brutalement verbalisé le télescopage entre les deux : « La France, ça n’est pas Michel Houellebecq, ça n’est pas l’intolérance, la haine et la peur », a déclaré le premier ministre jeudi 8 janvier au matin, sur RTL, pour dire son espoir que la tuerie de Charlie Hebdo n’ait pas pour répercussions des actes islamophobes.

La rencontre entre les deux faits est d’autant plus frappante que, malgré son retrait, l’écrivain reste omniprésent, en raison d’un plan de communication conçu et réalisé avant l’attentat. Ainsi, on le trouve en devanture de nombreux kiosques, à la une de L’Obs, qui titre : « J’ai survécu à toutes les attaques » - phrase sonnant bizarrement après une véritable attaque à laquelle douze personnes n’ont pas survécu ; « Il y a un certain embarras face à cette couverture», reconnaît un membre de la rédaction.

Si Le Figaro Magazine du 9 janvier annonce seulement « Houellebecq : l’islam, la France et moi », un autre hebdomadaire de droite, Valeurs Actuelles, se demande, à côté de l’image d’une femme voilée en bleu blanc rouge : « Peur sur la France, et si Houellebecq avait raison ? »

L’écrivain aurait aussi dû faire la prochaine « une » des Inrockuptibles, qui l’annonçait « Wanted » : « on trouvait amusant de consacrer un dossier aux polémiques qu’il suscite, dit Frédéric Bonnaud, directeur de l’hebdomadaire, mais nous n’avons plus tellement le cœur à rire. » Il précise cependant que le journal comprendra bien « une longue interview de Houellebecq», menée avant la tuerie. Les pages sur la dimension controversée du personnage et de son livre ont, elles, sauté : « Nous avions besoin de place pour raconter la grande histoire de Charlie ».

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09/01/2015
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