Suisse-Regard

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UDC et Front national: ce qui les distingue, ce qui les rapproche

Le temps.ch

 

Le 8-12-2015

Politique Internationale

 

Par Yelmarc Roulet

 

Alors que le premier parti de France n’a que des louanges pour le premier parti de Suisse, celui-ci préfère éviter les comparaisons. Points communs et divergences au cœur du populisme de droite européen

 

L’UDC a gagné les élections fédérales, qui la confirment comme le premier parti de Suisse. Le Front national s’impose aux élections régionales françaises comme le premier parti de France. Tous deux ont fait leur place dans le paysage politique européen parmi les partis populistes de droite, au détriment de la gauche et de la droite traditionnelle.

Pourtant, ils ne se regardent pas de la même façon. Le Front national ne manque pas de féliciter l’UDC, lorsqu’elle remporte les élections ou parvient à imposer l’initiative «Contre l’immigration de masse». L’UDC, en revanche, préférerait qu’on évite toute comparaison. «Je me sens plus proche d’Alain Juppé que de Marine Le Pen», a même assuré au «Temps» Guy Parmelin, candidat au Conseil fédéral.

 

Les points communs: populisme et nationalisme

Les points communs entre les deux formations sont multiples. Il y a le populisme, qui consiste à se prétendre comme le meilleur, voire le seul vrai représentant du peuple («Les Suisses votent UDC»). Cette posture va de pair avec un rejet d’élites dénoncées comme sourdes aux besoins du pays.

 

Lire aussi l’éditorial: «L’Europe minée par le populisme»

 

Les deux partis ont fait du rétablissement des frontières un thème prioritaire. Cela les amène, chacun dans son contexte, à contester les valeurs de la construction européenne. Ce nationalisme s’étend à un discours identitaire voire d’exclusion (les «moutons noirs»), à la célébration d’une culture patriotique, dressée contre les menaces de l’immigration, y compris sur le plan religieux.

 

Racines paysannes pour l'UDC, pétainistes et poujadistes pour le FN

Mais il y a aussi les différences. A commencer par l’histoire, relève le politologue Oscar Mazzoleni. L’UDC d’aujourd’hui est issue d’une formation politique paysanne et modérée. Le Front national plonge ses racines dans le fonds pétainiste et colonialiste, d’une part, dans le poujadisme de l’autre. Il en découle un positionnement fondamentalement différent dans la politique nationale. Le FN est qualifié d’extrême droite par ses adversaires, qui prétendent dresser contre lui un front républicain. L’UDC appartient depuis toujours au système.

«ll y a une tension permanente entre les propositions d’un parti et l’image que ses adversaires en donnent», ajoute Oscar Mazzoleni. Dans leur quête de légitimité, UDC et FN n’en sont pas au même stade. Le premier, qui réclame une plus grosse part du pouvoir avec le second siège au Conseil fédéral, n’a pas intérêt à se voir mêlé au second, qui reste infréquentable dans le pays voisin. Marine Le Pen a normalisé son discours en avançant vers le pouvoir. Les déclarations antisémites ou visant certaines minorités, communes du temps de son père, se font discrètes. Mais elle reste dans une logique de rupture, comme lorsqu’elle se réjouissait, dimanche soir, de la prochaine disparition des socialistes.

Le FN est collectiviste

 

Comment Claudine Schmid, que les Français de Suisse ont élue à l’Assemblée nationale, où elle siège avec Les Républicains, voit-elle les choses? Une différence entre les deux formations lui saute aux yeux: «L’UDC a un programme de gouvernement. On peut être pour ou contre, mais au moins il existe», constate l’élue. Rien de tel à ses yeux au Front national, «qui réussit à engranger des voix sans rien proposer de concret. Fermer la frontière, cela veut tout dire et rien dire.» La parlementaire ne croit pas que la relative marginalité dans laquelle le système politique français a maintenu le Front national ait contribué à son ascension: «Si Marine Le Pen est là où elle est, c’est à cause du chômage, du problème identitaire et du matraquage fiscal.»

Par rapport à leurs origines, l’UDC a ainsi durci le ton, tandis que le FN l’a baissé. Lorsqu’on les interroge sur leur rapport au FN, les représentants de l’UDC mettent en avant l’incompatibilité des programmes sur la politique sociale et économique. «Le FN prévoit de soutenir de nombreuses catégories sociales, sans préciser comment ces prestations seront financées», note Céline Amaudruz. «Le FN est de gauche», a dit un jour Christoph Blocher. «Il est étatiste, dirigiste, collectiviste et centralisateur, détaille Oskar Freysinger. Comme l’UDC est libérale et fédéraliste, nos projets de société sont donc opposés. Voilà pourquoi il n’y a jamais eu de contact. Seul point commun: la défense de la souveraineté nationale.»

 

L'UDC défend le libéralisme

La mondialisation, en somme, n’est pas un problème pour l’UDC. Même si cette position ne va pas sans exceptions ou incohérences, que l’on pense au protectionnisme agricole ou aux contingents de main-d’œuvre. Globalement, le parti de Christoph Blocher a réussi le mariage du libéralisme économique et de la lutte contre la surpopulation, une vieille tradition de la politique suisse. Le FN, en revanche, peut s’inscrire dans la forte tradition étatique française.

Pour Damir Skenderovic, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg, il y a davantage de points communs que de différences entre l’UDC et le FN. Comment explique-t-il dès lors qu’un discours semblable puisse séduire le quart, voire le tiers de l’électorat dans deux pays en situation aussi différente que la France et la Suisse? «En France, le FN s’appuie sur les problèmes actuels, alors qu’en Suisse l’UDC projette un discours de peur sur ce qui pourrait arriver.»

La pensée du Sonderfall peut aussi expliquer le peu de goût de l’UDC pour les comparaisons avec des partis européens plutôt proches. Dans ce modèle de pensée, qui n’est pas exclusif de l’UDC, on pose la Suisse et ses acteurs comme différents plutôt que comparables. «Ce qui a pour avantage d’éviter le véritable débat sur la place de l’UDC à la tête du pays, comme on le voit ces jours», ajoute l’historien.

Entre l’UDC et le FN, il n’y a pas de relation officielle. Pas plus qu’avec des formations analogues en Autriche ou en Italie. «L’UDC c’est la Suisse et nous ne ressentons pas le besoin d’une relation privilégiée avec des partenaires extérieurs, contrairement aux partis qui prônent l’ouverture», indique Claude-Alain Voiblet, vice-président romand de l’UDC. Rechercher une alliance internationale serait même une contradiction pour un parti qui met toutes ses priorités sur la Suisse. «Mais c’est une question de stratégie, pas de mauvaise conscience», assure-t-il.

 

Islamophobie

La difficile collaboration entre partis focalisés sur leur intérêt national n’empêche pas les relations personnelles de se nouer dans l’Europe du populisme de droite, relève Damir Skenderovic. Comme celles qu’Oskar Freysinger a pu avoir avec Geert Wilders, fondateur du Parti de la liberté aux Pays-Bas.

Sur l’islamophobie, la Suisse a joué un rôle précurseur en Europe, avec l’initiative contre les minarets mais avant déjà, note l’expert. Pour celui-ci, le thème de la défense de l’Occident contre l’Orient crée des liens importants, à défaut de relations institutionnelles, entre les différents partis.

Les UDC romands accueillent la victoire du Front national avec une froideur digne d’observateurs impartiaux. «Je ne saurais dire que je me sens proche du Front national, confie Céline Amaudruz, après avoir énuméré toutes les préoccupations communes – et la divergence sur le programme économique. Nous avons aussi des intérêts convergents sur le rétablissement des frontières, mais le FN n’est pas le seul parti en Europe à réclamer la maîtrise des flux migratoires.» «Les succès s’enchaînent pour Marine Le Pen, elle réussit», note Claude-Alain Voiblet. Certes, mais s’en réjouit-il? «Non! Cela démontre simplement qu’il y a en Europe les mêmes problèmes que ceux que nous dénonçons ici.»

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10/12/2015
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