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A Genève, l’exode fiscal pourrait reprendre

Le Temps.ch

 

Vendredi 03 octobre 2014

Forum

 

Par Claude-Olivier Rochat*

 

A Genève, l’exode fiscal pourrait reprendre Les «gros» contribuables, surtout s’ils sont retraités, tiennent avant tout à la stabilité, à la prévisibilité et, plus encore, à la sécurité du droit

A Genève, une banque a instauré des déjeuners réguliers avec des chefs d’entreprise et des représentants de professions libérales, clients ou non de la banque, qui permettent de passionnants et très libres débats sur des sujets d’actualité.

Le dernier était consacré à la fiscalité. Or, l’avalanche de projets d’impôts, tout comme la contamination par la frénésie fiscale française de «faire payer les riches» ont suscité des réflexions moins indignées et exaspérées que tristement désabusées et découragées.

Mais, attention, ce manque de combativité n’implique ni résignation, ni acceptation. Ce qui est d’autant plus inquiétant, car on retrouve le climat que Genève a connu au début des années 90, quand de nombreux contribuables aisés s’exilaient vers des villes, Londres en tête, à fiscalité moins gourmande. Or, c’est un climat contagieux…

Les campagnes sur l’initiative Minder, puis sur l’initiative 1/12 (salaires), suivies du dépôt de l’initiative fédérale «Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires» (d’autant plus préoccupante qu’elle ne concerne pas uniquement les forfaits fiscaux), doublée de l’initiative cantonale «Pas de cadeaux aux millionnaires», sans oublier l’initiative «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS», ni l’appétit d’Eveline Widmer-Schlumpf pour les gains en capital, excitent des jalousies et ressentiments malsains contre les «riches».

A longueur d’année, la gauche ne cesse de dénoncer «baisses d’impôts», «privilèges», «cadeaux aux riches» ou «cadeaux aux entreprises». Mal ressentie par ceux que l’on devrait choyer plutôt que chasser, cette surenchère hostile est d’autant plus troublante que l’enlisement français démontre pourtant l’impact pour le moins négatif de la «chasse aux riches».

A Genève s’ouvre, en plus, un autre débat, non moins polémique. L’alignement du taux d’imposition des PME genevoises sur celui – plus favorable – des multinationales est une mesure d’équité fiscale, mais aussi une réponse judicieuse aux pays étrangers qui exercent des pressions croissantes sur la Suisse, mais offrent aux entreprises des conditions souvent plus favorables que les nôtres. Le récent départ de quelques multinationales l’illustre assez crûment.

Problème: cet ajustement de la fiscalité des entreprises coûtera quelque 500 millions de recettes au canton. Comment les compenser? Certains se refusent à accepter la moindre économie, dans un canton qui dépense pourtant 22 000 francs par habitant, alors que Zurich, à prestations égales, n’en dépense que 14 000. Un canton, surtout, qui – malgré la crise – a vu ses revenus fiscaux progresser en moyenne de 3% par année depuis 2005.

Les fanatiques de l’impôt préfèrent s’indigner des «cadeaux aux entreprises». Manuel Valls, lui, a mieux compris les enjeux: «Il n’y a pas d’emplois sans employeurs. C’est pourquoi il est absurde de parler de «cadeaux faits aux patrons». Une mesure favorable aux entreprises, c’est une mesure favorable au pays tout entier.»

Devenu le parti de l’impôt, le PS ne manque pas d’ironie en osant affirmer: «Nous sommes le parti de la fiscalité durable» et voulons nous «assurer que chacun paie sa part». A Genève, où 40% des contribuables ne paient pas d’impôts, car d’autres paient pour eux, certains ont le fâcheux sentiment de payer plus que leur part. Pour eux, Genève tient plus de l’enfer que du paradis fiscal. Et leurs «privilèges fiscaux» les laissent plutôt dubitatifs…

Résultat: souvent taxés à plus de 100% de leurs revenus (un record mondial, qu’il faudrait faire inscrire au Guinness Book), malgré l’illusoire «bouclier fiscal» censé éviter les spoliations, des retraités votent avec leurs pieds et s’éclipsent. Genève trop cher pour eux, ils choisissent Londres, Gibraltar, les Emirats, voire même Panama. Des asiles fiscaux qu’ils ne sont, du reste, pas toujours tenus d’habiter…

A Genève, on se fait beaucoup d’illusions sur les «millionnaires». Mais, attention, seuls 1813 contribuables (soit 0,7% du total) disposent d’un revenu imposable supérieur à 500 000 francs et ils assurent… 20% des recettes de l’impôt. Face à cette réalité, la «fiscalité durable» ne devrait-elle pas, en priorité, répondre à une question lancinante: si un riche contribuable s’exile, qui paiera à sa place?

Aujourd’hui, au-delà des chiffres, attention à la psychologie. On parle trop d’impôts. Cela déstabilise et inquiète. Or, les «gros» contribuables, surtout s’ils sont retraités, tiennent avant tout à la stabilité, à la prévisibilité et, plus encore, à la sécurité du droit. Du coup, quand l’initiative sur les droits de succession prévoit un effet rétroactif, contraire aux principes mêmes du droit, une telle remise en cause perturbe profondément.

Ces dernières années, malgré la crise, alors que les impôts de la classe moyenne ont été un peu allégés, les contribuables aisés, eux, ont supporté sans broncher la lourde solidarité fiscale qui leur était imposée. Mais l’animosité à leur égard les choque désormais plus que les chiffres. Saura-t-on le comprendre avant que l’exode ne s’accélère?

* Conseil en communication

 



19/10/2014
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