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COP 21 : s'en réjouir ou en pleurer

Libération.fr

 

30 octobre 2015

Environnement

 

Par Isabelle Hanne

 

Baromètre

 

La plupart des pays ont rendu leur copie pour la conférence de Paris sur le climat. Résultat : une limitation du réchauffement à 2,7 °C… si tout le monde tient ses promesses. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

La plupart des pays ont rendu leur copie pour la conférence de Paris sur le climat. Résultat : une limitation du réchauffement à 2,7 °C… si tout  le monde tient ses promesses. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

 

Les intentions nous éloignent du pire...

A un mois pile de la COP 21, la Conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en décembre, les Nations unies ont compilé dans un rapport publié vendredi les engagements des pays à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), responsables du changement climatique. Dans le jargon, on appelle ça les INDC, pour Intended Nationally Determined Contributions («contributions prévues déterminées au niveau national»). Non contraignantes, elles servent de jauge pour mesurer l’ambition des Etats. Et seront annexées à l’accord de Paris, qui vise à contenir le réchauffement climatique sous le seuil des + 2 °C. La Convention climat de l’ONU préfère voir le résultat de ces engagements de manière optimiste. Regardons ici ses arguments.

 

+ 2,7 °C, c’est mieux que + 4 °C

Le secrétariat des Nations unies, qui n’a pas calculé l’extrapolation des émissions de GES en augmentation de température, cite néanmoins de précédentes estimations à + 2,7 °C. Le communiqué de l’organisation se réjouit même que ces INDC «laissent la porte ouverte à la limite de température de 2 °C». Au-delà de cette rhétorique un peu acrobatique, les Nations unies s’appuient sur l’idée que, si on ne fait rien, on est plutôt sur une trajectoire de + 4 °C, voire + 5 °C… Ces engagements des pays «permettent de changer la donne, et nous éloignent du pire, c’est-à-dire d’un réchauffement à 4-5 °C ou plus», a déclaré Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères et futur président de la COP 21.

 

Jamais autant de pays n’avaient écrit noir sur blanc leurs ambitions

Autre raison de se réjouir : «Il faut saluer le fait que tant de pays ont pris des engagements publics pour réduire leurs émissions, certains de manière plus significative que d’autres», a commenté l’ONG Oxfam. Une première. Aujourd’hui, plus de 150 Etats, couvrant près de 90 % des émissions mondiales, ont rendu leur INDC. «Tous les pays développés ont rendu leur INDC : c’est historique», s’est félicité la secrétaire générale de la Convention climat de l’ONU, Christiana Figueres. Selon elle, ces INDC représentent des «efforts sans précédent», ayant permis «des consultations solides et profondes dans chaque pays : l’implication dans la lutte contre le changement climatique est partout bien plus forte». Tous ces pays prêts à s’orienter vers un futur décarbonné montrent que «le contexte a changé depuis Copenhague en 2009», quand la communauté internationale avait échoué à signer un accord mondial, a avancé Jennifer Morgan, du think tank World Ressources Institute.

 

Cela fait baisser les émissions de GES

Selon l’évaluation de l’ONU, les engagements des Etats se traduiront par un niveau mondial d’émissions de gaz à effet de serre de 56,7 gigatonnes équivalent CO2 en 2030 (contre 49 gigatonnes en 2010). Soit une baisse de 5 % des rejets carbonés par habitant en 2030 par rapport à leur niveau de 2010 (et de 9 % par rapport à 1990). «Pleinement mis en œuvre, ces plans de réduction des émissions commencent à ouvrir une brèche significative dans la croissance des émissions de gaz à effet de serre», a estimé Christiana Figueres. L’ONG WWF affirme que ces promesses, «si elles sont mises en œuvre, donneraient lieu à un ralentissement mondial de la croissance des émissions d’ici 2025 et 2030 par rapport aux deux précédentes décennies».

 

Il devrait y avoir dans l’accord une clause pour rehausser les ambitions

Conscients du niveau insuffisant des engagements, certains pays poussent pour la mise en place de mécanismes, dans l’accord de Paris, pour rehausser régulièrement les ambitions. L’idée d’une clause de revoyure tous les cinq ans fait son chemin depuis quelques semaines dans les négociations. L’accord de Paris n’entrant en vigueur qu’en 2020, il est possible en amont d’améliorer ces propositions, en prenant en compte par exemple les progrès de la science et des technologies.

 

Les bons élèves

En épluchant les INDC, certains pays sortent du lot. L’Ethiopie, par exemple, a annoncé un objectif très ambitieux de réduction de 64 % de ses émissions de GES d’ici à 2030 par rapport au niveau où la conduirait la tendance actuelle, accompagné d’une forte accélération vers les énergies renouvelables. Le Maroc s’engage lui à réduire de 13 % ses émissions d’ici à 2030. Il affirme pouvoir aller jusqu’à une baisse de 32 % avec un appui financier international, et s’engage à produire de l’électricité à 50 % d’origine renouvelable d’ici à 2025. Le Costa Rica fait également figure de bon élève, qui s’engage à une économie neutre en carbone d’ici à 2021, et une baisse de 25 % de ses émissions par rapport à 2012 et d’ici à 2030, sans conditionner cette annonce à des aides financières extérieures. Les pays les plus vulnérables au réchauffement ont aussi proposé des plans ambitieux, comme les îles Marshalls, qui visent le 100 % renouvelable.

 

... mais à la fin le compte n'y est pas

Les engagements des Etats en termes de réduction de gaz à effet de serre, les fameux INDC(lire ci-contre), semblent bien insuffisants au regard des enjeux. La température moyenne de la planète a déjà augmenté de 0,85 °C depuis l’ère préindustrielle. Ce réchauffement à une vitesse inédite, causé par les émissions de gaz à effet de serre (GES) produites par l’activité humaine, menace, entre autres, de nombreux écosystèmes et espèces, cause des événements climatiques extrêmes plus violents et fait monter le niveau de la mer. Comme de nombreux spécialistes et observateurs, regardons ce qui pèche dans les promesses des Etats.

 

2,7 °C ou 3 °C, c’est encore trop

Selon plusieurs estimations d’agences internationales et d’ONG, l’addition des INDC, les engagements des Etats, met plutôt la planète sur la trajectoire d’une augmentation des températures moyennes de 2,7 °C, voire de 3 °C par rapport à l’ère préindustruielle. La patronne de la Convention de l’ONU sur le climat, Christiana Figueres, le reconnaît : «Il y a une différence entre être en dessous de 3 °C et être en dessous de 2 °C.» «Si les engagements sont un pas dans la bonne direction, ils nous ramènent d’une catastrophe à 4 °C à un désastre à 3 °C», tranche Tim Gore, de l’ONG Oxfam. Le tout, alors même que le seuil des 2 °C est jugé insuffisant par les pays le plus vulnérables au changement climatique, comme les petites îles menacées par la montée des eaux, qui poussent pour un objectif de + 1,5 °C d’augmentation maximale dans les négociations. Car même en dessous de 2 °C, il y a des «conséquences importantes» du changement climatique, estimait en juillet le climatologue Hervé Le Treut.

 

Des émissions trop élevées

Pour contenir l’augmentation des températures sous le seuil des 2 °C, il faudrait réduire de 40 à 70 % les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2050, puis pousser les économies vers la neutralité carbone. «Et pour être sur la trajectoire du 2 °C, avec les contributions des Etats, il y a toujours entre 10 et 15 gigatonnes de CO2 par an en trop d’ici 2030, estime Matthieu Orphelin, de la Fondation Nicolas Hulot. C’est un écart énorme.» Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a calculé qu’il ne fallait pas émettre plus de 1 000 gigatonnes de CO2 pour avoir de bonnes chances de respecter l’objectif des 2° C : c’est notre «budget carbone». Avec les engagements actuels, 72 à 75 % de ce «budget» auront été consommés en 2030, car, selon les projections de l’ONU, les émissions cumulées atteindraient environ 540 gigatonnes en 2025, 748 en 2030.

 

Des contributions non contraignantes

Les promesses de réduction d’émissions de gaz à effet de serre des Etats sont d’autant plus insuffisantes qu’elles ne sont… que des promesses. Les INDC constitueront a priori un genre de «registre» annexé à l’accord de Paris, mais ne feront pas partie du texte juridiquement contraignant. Ce dernier devrait tout de même mettre par écrit un mécanisme de contrôle et de révision de ces ambitions (lire ci-contre). Mais il n’existe pas d’instance - une organisation mondiale de l’environnement, par exemple - qui pourrait sanctionner des manquements aux engagements. Et certains pays, notamment la Chine (premier émetteur mondial), sont opposés à des mécanismes de révision stricts. On ne sait pas encore non plus comment ces efforts annoncés seront réalisés : peu de pays ont explicité, dans leurs contributions, les moyens de mise en œuvre concrète de ces réductions des émissions.

 

Les mauvais élèves

Pas de surprise dans les INDC : les mauvais élèves du climat sont constants. L’Australie, dernier pays développé à avoir rendu sa copie, prévoit de réduire d’ici à 2030 de 26 à 28 % les émissions de gaz à effet de serre, par rapport à 2005. Le Canada, l’un des plus gros pollueurs de la planète par habitant, fait également figure de cancre. Il s’est fixé une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Le nouveau Premier ministre, Justin Trudeau, qui s’est engagé à livrer une contribution plus ambitieuse dans les prochains mois, semble néanmoins vouloir s’entêter à exploiter les sables bitumineux.

Le Japon, lui, veut remplacer le nucléaire par le charbon au lieu d’orienter le pays vers les renouvelables. Quant à la Russie (cinquième émetteur mondial), elle s’est engagée à baisser ses émissions de 25 à 30 % d’ici à 2030, par rapport à 1990 - en fait, une stagnation par rapport à aujourd’hui.

La contribution de la Turquie, qui accueille le G20 dans deux semaines, dernier événement politique fort avant la COP21 censé encourager les pays à plus d’ambition, a particulièrement déçu les observateurs : son annonce de baisser ses émissions de 15 % par rapport à la tendance actuelle d’ici à 2030, s’étrangle Matthieu Orphelin, «revient à plus que doubler ses émissions actuelles d’ici à 2030».



31/10/2015
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