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Doutes allemands autour de l’intégration des réfugiés sur le marché du travail

Le Temps.ch

 

Publié le 20-10-2015

Politique Internationale

 

Par Nathalie Versieux, Berlin

L’arrivée de centaines de migrants est-elle une chance pour l’économie allemande confrontée à une démographie en berne? Ou y a-t-il catastrophe en vue pour les systèmes sociaux? Le débat fait rage en Allemagne, alors que le pays attend près d’un million de réfugiés pour 2015

 

Rainer Wiening est engagé aux côtés des réfugiés depuis la première heure. «Je voulais à tout prix donner une chance à un réfugié et en embaucher un dans mon entreprise», explique cet artisan électricien de Norderstedt, petite ville au nord de Hambourg. Par le biais d’une organisation humanitaire, il entre en contact avec un jeune Erythréen. «Il était d’accord, et prêt à en découdre. Mais il ne parlait pas un mot d’allemand. Je ne peux pas imposer ça à mes garçons dans l’équipe. Sur un chantier, on travaille sous pression. Quelqu’un qui ne comprend pas ce qu’on lui dit, c’est trop de stress.» La désillusion de cet artisan est symptomatique de l’évolution du débat en Allemagne autour de la difficulté à intégrer les réfugiés sur le marché du travail.

Le pays attend entre 800 000 et un million de réfugiés cette année. Chance pour une économie menacée par sa démographie en berne ou catastrophe en vue pour les systèmes sociaux? Le débat fait rage dans le pays. Fait inhabituel, le patronat se déchire même ouvertement sur la question. Le président de la Fédération patronale du bâtiment, Michael Knipper, vient d’adresser une lettre ouverte au directeur général de la puissante fédération de l’Industrie BDI, l’accusant de propager une vision «naïve» des conséquences de l’arrivée massive de migrants pour le marché du travail.

 

Après l’optimisme, l’incertitude

De fait, le débat autour de l’immigration a jusqu’ici été dominé par l’optimisme, certains économistes allant jusqu’à parler de «mini-programme de relance», du fait de l’investissement colossal de plusieurs milliards d’euros qui sera nécessaire pour l’intégration des nouveaux arrivants. «Augmenter les dépenses publiques dans la formation et les infrastructures aurait le même effet sur la conjoncture, en augmentant à long terme la productivité du site de production allemand», corrige la Fédération du bâtiment. En bref, pour la fédération, plutôt investir les milliards de l’État dans le béton que dans les réfugiés, d’autant que l’Allemagne ne manque pas de main-d’œuvre non qualifiée.

Michael Knipper se base sur les prises de parole récentes de deux économistes de renom, Hans-Werner Sinn, le patron de l’institut Ifo de Munich, et Bernd Raffelüschen, professeur d’économie à l’Université de Fribourg dans le sud-ouest du pays. Le premier considère que l’intégration des réfugiés sur le marché du travail ne sera pas possible sans revenir sur le salaire minimum, du fait de leur trop faible productivité. Le second estime pour sa part que les réfugiés resteront à la charge du système de protection sociale. «La plupart ne pourront cotiser le nombre d’années nécessaires pour toucher une retraite complète, et risquent de grossir les rangs de ces retraités qui vivent des prestations sociales.» Et de prédire une augmentation des cotisations sociales et des impôts.

 

Une population jeune

«55% des réfugiés ont moins de 25 ans, relativise Claudia Walther, chercheuse à la Fondation Bertelsmann. C’est un âge où il est possible d’entamer une formation professionnelle. L’IAB [institut de recherche interne à l’Office pour l’emploi] estime qu’à long terme, on pourra intégrer 50% des réfugiés sur le marché du travail.» En attendant, la ministre du Travail Andrea Nahles (SPD) table sur une hausse du nombre des bénéficiaires des minimums sociaux de 460 000 personnes en 2016 à 1 million d’ici à 2019.

Sur le terrain, les ONG engagées aux côtés des réfugiés réclament davantage de soutien de l’État. 70% des réfugiés ayant entamé une formation professionnelle l’auraient interrompue, comme l’affirme le quotidien Die Welt? «Suivre une formation quand on parle mal allemand est trop dur», riposte Günter, qui aide à placer de jeunes réfugiés dans les entreprises. Mais l’État ne propose de cours d’allemand qu’aux réfugiés ayant obtenu un permis de séjour, procédure qui peut durer jusqu’à plusieurs années. La moitié d’analphabètes parmi les réfugiés afghans âgés de 14 à 25 ans, et seulement 30% de réfugiés qui auraient fréquenté l’école secondaire, comme l’affirme l’institut Ifo? «Les études montrent qu’on a aussi besoin de personnel non qualifié, dans la logistique ou le soin aux personnes âgées», rappelle Claudia Walther. Pour la Fondation Bertelsmann, la venue de migrants sera une chance pour l’économie allemande, «à condition qu’on assouplisse les conditions d’accès au marché du travail, aux cours de langue, à la formation professionnelle. C’est un investissement sur le long terme.»

 



21/10/2015
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