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Nationalité : les déchus de Hollande

Libération.fr

 

Le 17-11-2015

Nationalité

 

Par Sylvain Mouillard

 

Le président de la République a annoncé, lundi, vouloir élargir la déchéance de la nationalité aux binationaux «nés français». Une vieille revendication de la droite.

 

Cinq hommes, quatre Franco-Marocains et un Franco-Turc, déchus de la nationalité française verront leur recours en référé examiné ce mercredi devant le Conseil d’Etat. Un examen qui intervient dans un climat très lourd, après les attentats du 13 novembre et l’annonce par François Hollande, lundi devant le Congrès, d’étendre les conditions de la déchéance. Le Président souhaite que des binationaux «nés français» puissent désormais être frappés par la mesure. Une évolution plus qu’une révolution juridique : jusqu’à présent, la déchéance n’était possible qu’envers des binationaux ayant acquis la citoyenneté française par naturalisation.

 

Qui sont ces cinq hommes qui ont déposé ce recours ?

Amis d’enfance, originaires de quartiers populaires de la banlieue Ouest de Paris, ils s’appellent Fouad Charouali, Rachid Aït El Hadj, Bachir Ghoumid, Redouane Aberbri et Attila Turk. Agés de 38 à 41 ans, ils ont été condamnés en 2007 à des peines de six à huit ans de prison pour «participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste». Ils étaient notamment jugés pour leurs liens avec des membres d’un groupe jihadiste responsable des attentats de Casablanca, au Maroc, le 16 mai 2003 : 45 personnes avaient été tuées, dont 3 Français, dans plusieurs attaques.

Désormais libérés et affirmant s’être «rangés», les cinq hommes, qui ont été naturalisés entre 1991 et 2001, dénoncent la décision de les déchoir de leur nationalité française, prononcée par décret le 7 octobre. Leurs avocats, Mes Elisabeth de Boissieu, William Bourdon et Jean-Pierre Spitzer, ont fustigé «l’incroyable disproportion» entre «l’extrême gravité» des décisions de déchéance et «la réalité des faits reprochés». Ils alertent sur les risques de torture qu’encourent leurs clients s’ils étaient déchus de leur nationalité et expulsés dans la foulée. Citée par l’AFP, une source proche du dossier justifie la décision du ministère de l’Intérieur. Selon elle, il n’y a là aucun «hasard» : les services spécialisés «ont déterminé avec précision leur degré de dangerosité et leurs liens éventuels avec des dossiers judiciaires à caractère terroriste en cours».

 

Quel est le régime actuel de la déchéance ?

Sur le plan du droit, d’abord, la déchéance de nationalité n’intervient que dans des cas très précis. Un Français ne peut être déchu de sa nationalité, les traités internationaux interdisant la création d’apatrides. Mais l’article 25 du code civil permet la déchéance pour un binational naturalisé condamné pour atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ou terrorisme. La mesure ne peut être prononcée que dans un délai de dix ans à compter des faits, et dix ans maximum après l’acquisition de la nationalité française - quinze ans pour terrorisme. En pratique, la déchéance de nationalité est très peu utilisée. On ne recense qu’une vingtaine de cas depuis 1990, tous pour terrorisme, et aucun entre 2007 et 2014. Depuis son arrivée place Beauvau, Bernard Cazeneuve a demandé la déchéance de nationalité de six personnes en 2014 et 2015.

En revanche, le sujet est omniprésent dans le débat public. La droite ne cesse de vouloir renforcer les conditions dans lesquelles la mesure peut être prononcée. En 2010, dans son discours de Grenoble, Nicolas Sarkozy a proposé de l’étendre à «toute personne d’origine étrangère (sic) qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique». Fin 2014, le député UMP Philippe Meunier avait défendu une proposition de loi ciblant tout binational - naturalisé ou né français - «portant les armes contre les forces armées françaises et de police». Sans succès. Après les attentats de janvier, il était revenu à la charge avec une mesure «d’indignité nationale», repoussée par le gouvernement.

 

Comment la situation peut-elle évoluer ?

Ce que le gouvernement refusait de faire il y a encore quelques mois a été remis sur la table par François Hollande. Lundi, le président de la République a été très clair : «Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français.» Une proposition qui ne «pose aucun problème sur le plan du droit», explique le juriste Dominique Rousseau (lire page 10). En quelque sorte, cette mesure renforcerait le principe d’égalité. Tout citoyen français, quel que soit le mode d’acquisition de la nationalité, pourrait être traité de la même manière. L’objectif, pour les autorités, est de pouvoir expulser davantage de personnes déchues de leur nationalité française. Depuis le début de l’année, 34 arrêtés en ce sens ont été pris.

Un autre juriste, Serge Slama, alerte en revanche sur les difficultés pratiques. «La Cour européenne des droits de l’homme s’oppose très nettement à l’expulsion d’une personne déchue de sa nationalité française si elle encourt des risques de mauvais traitement dans son autre pays d’origine.» L’exemple de Djamel Beghal, mentor de Chérif Kouachi (un des tueurs de Charlie Hebdo) et Amédy Coulibaly (Hyper Cacher), est à ce titre édifiant : déchu de sa nationalité française en 2006, il n’avait pu être expulsé vers l’Algérie et avait alors été assigné à résidence dans le Cantal.

Une situation que l’extension des conditions de la déchéance pourrait renforcer, selon Serge Slama, qui alerte : «On va se retrouver avec des gens dont on ne sait pas trop quoi faire. Et pour combien de temps ?»

 

 



18/11/2015
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