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Tobias Müller: «La migration améliore les perspectives d’emplois pour les Suisses»

Le Temps.ch

 

Mercredi 16 septembre 2015

Emploi Suisse

 

Par Sébastien Dubas

 

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La migration est la dimension négligée de la mondialisation, assure Tobias Müller. Le professeur d’économie à l’Université de Genève plaide pour des mesures actives d’insertion

La question des réfugiés est sujette à de nombreuses interprétations en Europe. Et l’économie ne déroge pas à la règle. Si les migrants représentent une «bonne nouvelle» pour certains, ils sont considérés comme «un fardeau» par d’autres. Tobias Müller, professeur d’économie à l’Université de Genève et spécialiste du marché du travail et des migrations, donne son avis.

 

Le Temps: D’un point de vue économique, l’arrivée de migrants représente-t-elle une menace?

Tobias Müller: Certainement pas. L’arrivée de migrants relativement jeunes représente plutôt une bonne nouvelle pour une Europe vieillissante puisqu’elle peut contribuer à rendre nos économies plus dynamiques. Ensuite, même l’arrivée de gens peu qualifiés peut profiter à certains secteurs de notre économie qui, à l’instar de la santé par exemple, manquent cruellement de main-d’œuvre.

Enfin, le fait que les migrants viennent occuper des emplois dont les Suisses ne veulent pas

forcément favorise l’accès à de meilleurs postes pour ces derniers. Des études l’ont clairement mis en évidence: la migration n’exerce qu’une très faible pression sur les salaires, mais elle améliore aussi les perspectives d’emploi pour les natifs.

 

– La Suisse a-t-elle les moyens d’intégrer rapidement ces migrants dans le monde du travail?

– Oui, elle l’a d’ailleurs démontré par le passé. L’arrivée de Tamouls du Sri Lanka dans les années 1980-1990 par exemple était elle aussi perçue par beaucoup comme une menace. Or, la grande majorité s’est très bien intégrée sur le marché du travail, souvent dans l’hôtellerie ou la restauration, alors qu’ils étaient, pour la plupart, très peu qualifiés. Maintenant, un des principaux problèmes du point de vue économique réside dans le fait que ces migrants bénéficient le plus souvent de permis d’admission provisoires dans nos pays; des permis qui ne sont attractifs ni pour les employeurs, qui craignent de voir leurs employés être renvoyés à tout moment, ni pour les migrants, qui vivent dans l’incertitude. Cette instabilité est très mauvaise d’un point de vue économique, car un réfugié qui dispose d’un horizon temporel incertain ne s’investira pas forcément totalement pour apprendre une langue ou pour se faire un réseau.

 

– Que faut-il faire, alors?

– Il faut mettre en place des mesures actives d’insertion au marché du travail. Aider les nouveaux arrivants à apprendre la langue, par exemple, ou leur donner la possibilité de valoriser leurs compétences qui ne sont pas forcément reconnues chez nous. Souvent, et cela concerne surtout des personnes avec une bonne formation venues de loin, les migrants se retrouvent avec des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. D’un point de vue économique, cela équivaut à du gaspillage. Il faut donc les aider à remettre leurs connaissances à niveau.

 

– Dans un monde toujours plus globalisé, peut-on encore s’opposer à la migration des hommes et encourager celle des capitaux?

– Il est évident que la migration est la dimension négligée de la mondialisation. Elle reste très marginale par rapport aux flux du commerce par exemple. En 2013, seuls 3,2% de la population mondiale vivait ainsi en dehors de son pays de naissance. Or, des études démontrent que c’est dans ce domaine que l’on pourrait avoir le plus de gains si on devait le libéraliser au niveau international, et de loin. Maintenant, il y a beaucoup d’oppositions politiques si bien que cela ne fait aucun sens de procéder à une analyse purement économique sans prendre en considération ces oppositions.

 

– Quels sont ces gains, justement?

– Selon des études, le PIB mondial gagnerait plus de 10% à moyen terme si l’on laissait les gens circuler librement. Un Mexicain qualifié qui part travailler aux Etats-Unis par exemple gagne immédiatement en productivité. Il bénéficie à la fois d’un capital plus important mais aussi et surtout d’une technologie qui diffère fondamentalement de son pays d’origine. Les gains engendrés par la migration peuvent être très importants, ce qui ne veut pas dire que tout le monde aurait envie d’aller vivre et travailler dans un pays riche s’il le pouvait. La plupart des gens tiennent à rester chez eux, dans leur contexte social et leur culture.

 

– Cette libéralisation ne profiterait-elle pas qu’aux pays riches?

– Les grands gagnants sont d’abord les migrants eux-mêmes. Pour les pays d’origine, le problème principal est la fuite des cerveaux. Je crois toutefois qu’il y a aussi des gains pour les pays en développement. D’une part, ceux qui partent renvoient souvent une partie de leur revenu vers leur pays d’origine. Au niveau mondial, ce sont des montants très importants qui représentent plus du double de l’aide au développement. D’autre part, le fait que l’on a plus de chances d’être accepté dans un autre pays en étant qualifié est une incitation à se former davantage.

 

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16/09/2015
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