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Valeurs actuelles affiche "Zemmour président": le Coluche réac de 2017?

 

 Challenges.fr

 

Publié le 23-09-2015 à 13h08

Polémique

 

Par Bruno Roger-Petit

 

Le roman de politique fiction "Une Election ordinaire" raconte l'élection à l'Elysée du polémiste Eric Zemmour. Derrière la fiction, le mode d'emploi d'une candidature souverainiste imaginé par Patrick Buisson?

 

Cauchemar à la une. Ou rêve. Ce sera selon les inclinations des uns et des autres. "Zemmour président", c’est le buzz de la semaine, lancé par le journal Valeurs actuelles. "Zemmour président", c’est aussi et surtout un livre qui, si l’on en croit la Une de l’hebdomadaire, "rebat les cartes à droite". C’est dire si cet audacieux choix éditorial se justifie. Enfin, il se passerait quelque chose à droite qui sortirait l’observateur des choses de la politique des sempiternels sketchs de Nicolas Sarkozy, "J’ai changé", "J’ai mûri", "Je ne suis plus le même" ou des pudeurs de François Fillon, qui visiblement ignore l’audimat, "Le Grand journal, oui, Laurent Ruquier non"…

Mais quel est donc ce livre, cet obus médiatique qui disperserait la droite façon puzzle? Un livre d’enquêtes sur le duel Fillon/Copé? Une biographie de François Fillon? Le récit des dix années du sarkozysme? La confession de Carla Bruni? Non. Rien de tout cela. Le livre est un roman, signé par la plume qui monte au sein de la maison Valeurs actuelles, le journaliste Geoffroy Lejeune.

Un roman à la une qui rebat les cartes à droite? Bigre.

"Une Election ordinaire" est le roman de l’élection d’Eric Zemmour à la présidence de la République. Et ce, dès 2017. L’auteur y conte la naissance de la candidature Zemmour, son irrésistible ascension, le ralliement progressif de toutes les droites, et la victoire.

 

Un scénario pas si improbable que cela...

A priori, le scénario parait improbable. Sauf que le roman est riche de citations et révélations actuelles qui lui confèrent une authenticité inquiétante. Si Zemmour finit par être élu président, c’est parce qu’il incarne ce qui paraît aujourd’hui impossible, à savoir la synthèse de toutes les forces souverainistes et réactionnaires en mouvement dans la France de 2015.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Geoffroy Lejeune imagine un scénario plus ou moins crédible. La candidature Zemmour, portée par un commando fin connaisseur des mouvements de l’opinion française, s’impose comme une évidence face à un Sarkozy usé, un Fillon et un Juppé dépassés, un Le Maire empesé, un Dupont-Aignan rallié, et une Marine Le Pen poignardée par son père et sa nièce.

Plus troublant encore, pour qui sait lire entre les lignes, le vrai héros du roman n’est pas Eric Zemmour, qui s’avère au bout du compte n’être que la marionnette politique d’un Deus ex machina redoutable. Non, en vérité, le vrai héros du roman, celui qui en est le personnage moteur, c’est… Patrick Buisson.

Le roman narre ainsi comment Patrick Buisson s’y prend pour monter la candidature Zemmour. De ce point de vue, la première partie du livre est la plus réussie, sans doute parce qu’elle est la plus crédible. L’on y voit le manipulateur Buisson monter la candidature Zemmour. Et les scènes de genre abondent.

Buisson, fort de sondages commandés par lui, contraint Dupont-Aignan à renoncer, puis parvient à le convaincre de mettre à disposition de la candidature Zemmour les fichiers d’élus permettant d’obtenir les 500 signatures nécessaires pour se présenter.

Buisson exploite une vidéo de Jean-Marie Le Pen appelant à voter Zemmour contre sa fille Marine, soutien arraché dans la célèbre villa de Saint-Cloud par le marionnettiste à un père qui ne demande qu’à se venger de sa progéniture.

 

Patrick Buisson, le marionnettiste

Buisson refuse de demander pardon à un Sarkozy qui souhaite le récupérer pour sauver une candidature à l’agonie. Au passage, on apprend que la fameuse affaire des enregistrements serait l’œuvre d’un "journaliste médiocre" dont Patrick Buisson "aurait façonné la carrière" et qui l’aurait trahi après avoir bénéficié de son carnet d’adresses.

Bref, sans Buisson, pas de Zemmour président.

L’intérêt du roman réside dans l’omniprésence du conseiller déchu de Nicolas Sarkozy, acharné à précipiter la chute de celui qu’il méprise plus que tout. On peut même y lire ces propos, tenus lors de l’entrevue fictive entre Sarkozy et Buisson, mais qui paraîssent criants d’authenticité : "Tu ne remonteras jamais la pente Nicolas, les gens ont cessé de t’écouter. Tu as vendu un rêve en 2007, et tu leur as servi un cauchemar avec Amara et Kouchner au gouvernement". A croire que ces mots ont été réellement prononcés.

Patrick Buisson est omniprésent dans ce roman qui réussit à convaincre que l’improbable est finalement possible. Non pas que Zemmour puisse être élu président de la République, mais que naisse à droite, dans la perspective de 2017, une candidature parasite, d’orientation réactionnaire et souverainiste, et surtout susceptible d’entraîner le ralliement de tous ceux qui, à droite comme à gauche, ne trouvent guère leur compte dans le panel qui risque de leur être proposé d’ici 2017.

 

Un rassemblement des brebis du souverainisme

La principale leçon de cette fiction politique réside dans le diagnostic qu’elle pose en creux. En ce sens, il faut bien reconnaître que si le roman de Geoffroy Lejeune ne rebat pas les cartes, il montre surtout comment il est possible de les rebattre: en inventant un Coluche 2017 version réac qui serait lui, guidé par une vraie intelligence politique, et qui pourrait rassembler les brebis égarées du souverainisme orphelin, de Marion Maréchal-Le Pen à Jean-Pierre Chevènement, en passant Nicolas Dupont-Aignan, ratissant au passage Frigide Barjot, la Manif pour tous et Natacha Polony, voire Jacques Sapir, Michel Onfray et Emmanuel Todd.

Quand on sait que cette sombre mais protéiforme mouvance, éclatée entre droite(s) et gauche(s) s’interroge sur le point de savoir comment être représentée lors de la prochaine élection présidentielle, hors Sarkozy-Hollande-Le Pen, et qu’elle cherche le candidat de synthèse, on ne peut qu’être pétrifié à l’idée que les recettes dévoilées dans le livre pour monter une candidature réac-souverainiste ne finissent par trouver cuisinier politique.

"Une Election ordinaire" est un roman trop bien documenté pour être innocent. Le fait qu’il se retrouve à la Une de Valeurs actuelles aggrave son cas. C’est plus qu’un livre. C’est un mode d’emploi. Il ne manque qu’un sous-titre au titre, que l’on va ici s’empresser de suggérer : "Une Election ordinaire, mode d’emploi réactionnaire pour faire battre Nicolas Sarkozy en 2017".

 

 



24/09/2015
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