Vu d'Italie. La comète Le Pen fragilise un peu plus l'Union européenne
Il Sole-24 Ore Milan (Courrier International)
Le 14-12-2015
Politique Internationale
Par Adriana Cerretelli
Le scrutin de dimanche [13 décembre] en France a mis au jour une fois de plus la crise – manifestement irrémédiable – de la libéral-démocratie européenne incarnée par les partis traditionnels de l’après-guerre. Ils se sont révélés partout incapables de comprendre les inquiétudes profondes de sociétés désorientées d’abord par la fin de l’ordre de Yalta, ensuite par l’européanisation rapide du continent sous l’égide de l’UE et enfin par la mondialisation socio-économique et les répercussions nationales qu’elle a entraînées.
Aucune réponse convaincante n’a été apportée à la nouvelle précarité socio-économique, entre croissance molle et marché du travail en chute libre. Aucune réponse crédible n’a été apportée à la déferlante de migrants qui modifie l’équilibre des sociétés en faisant monter l’inquiétude chez des citoyens livrés à eux-mêmes. Aucune stratégie cohérente n’a été proposée pour lutter contre le terrorisme et les terroristes qui grandissent parmi nous.
Une gauche qui s’est suicidée en jouant à la droite
Entre angélisme et multiculturalisme brouillon, entre vraie rigueur budgétaire et vains bavardages sur la croissance, les vieux équilibres politiques ont sauté. De nouvelles forces anti-système, nationalistes et radicales, de droite comme de gauche, secouent les démocraties où des gens cherchent des solutions alternatives, des hommes et des politiques d’un nouveau genre pour gérer de manière efficace un changement radical mettant fin au système établi qui surnage en louvoyant.
Avec une gauche qui s’est suicidée en jouant à la droite, le paysage politique européen s’est transformé peu à peu en tableau monochrome où les socialistes, décimés, ont toujours plus de plomb dans l’aile. Marine Le Pen l’emporte en France après Victor Orbán en Hongrie, Jarosław Kaczyński en Pologne et une myriade d’autres partis conservateurs grands et petits. Avant eux l’avaient fait Alexis Tsípras en Grèce et António Costa au Portugal, quelques-uns des rares insurgés de l’autre bord.
Tous ou presque ont en commun d’opter pour une solution nationaliste et anti-européenne plus ou moins radicale, la plus draconienne étant celle de Marine Le Pen : plus d’euro, plus de Schengen, plus d’Europe, plus d’islam, plus d’économie libérale, remplacée par le dirigisme économique et le protectionnisme industriel.
Inutile de dire que son programme porterait un coup fatal à l’Europe si la chef de file du FN devait remporter également la présidentielle française en 2017. Parce que la France n’est pas un pays comme les autres mais le moteur – ou le frein strident – de l’intégration européenne : elle a rejeté le projet de défense européenne en 1954 avant de rejeter celui de Constitution européenne un demi-siècle plus tard. Ni l’un ni l’autre ne sont plus jamais ressorti des cartons.
Régionales : “Mais que se passe-t-il au juste en France ?”
La perte du soutien traditionnel de l’Hexagone condamnerait officiellement l’Allemagne – aujourd’hui dans la tourmente, secouée par des élans anti-européens et anti-immigrés inédits – à un leadership solitaire, une régression qui n’a rien apporté de bon par le passé. Dans une Union déjà fragilisée par d’innombrables querelles intestines, la comète Le Pen promet donc des déstabilisations à la chaîne et un repli sur les Etats-nations. S’il séduit peut-être, ce retour illusoire au monde d’avant l’Europe et d’avant la mondialisation aggravera les problèmes, les pays européens n’étant pas de taille, individuellement, à les résoudre seuls. Le Danemark, un petit pays riche et stable, vient pourtant de voter non au référendum sur sa participation aux programmes de sécurité européens, et la Grande-Bretagne envisage le Brexit.
En bref, si l’Europe veut gagner la partie, elle doit apprendre à convaincre des citoyens toujours plus sceptiques. Et les gouvernements doivent cesser de minimiser les inquiétudes et les peurs des citoyens. Condamner les votes extrêmes en donnant des leçons de politiquement correct n’a servi jusqu’à présent qu’à faire gonfler les rangs des Le Pen et consorts. Il serait bon de méditer là-dessus. Pour de bon.
Milan
Fondé en 1865, il est le quotidien italien de référence en matière économique et un des quotidiens les plus vendus en Italie. Austère, il n’en est pas moins extrêmement bien informé. Pour conforter son leadership, il tend aujourd’hui à laisser plus [...] Lire la suite
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