Suisse-Regard

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A Moscou, M. Sarkozy s’en prend à la diplomatie française

Le Monde.fr

 

Le 30.10.2015

Politique Internationale

 

Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)

 

Le tête-à-tête a duré près de deux heures, et Nicolas Sarkozy n’a pas boudé son plaisir d’être reçu comme un chef d’État encore en exercice. « On a parlé de la Syrie, de l’Ukraine, du rapport de la Russie avec l’Europe, de l’influence des Etats-Unis sur l’Union européenne, de certaines choses personnelles, et le temps a passé vite », s’est-il réjoui à l’issue de son entretien, jeudi 29 octobre, avec le président russe Vladimir Poutine, dans sa résidence de Novo-Ogarevo, près de Moscou. Cette rencontre inhabituelle par sa forme pour un chef de l’opposition étranger, est la troisième avec le maître du Kremlin depuis le départ de M. Sarkozy de l’Elysée en 2012. Elle a surtout permis à l’ex-dirigeant français de décocher des flèches acerbes contre la diplomatie menée depuis Paris.

Contenu le matin devant les étudiants de l’Institut des relations internationales, le discours de M. Sarkozy est en effet devenu nettement plus critique, dans la soirée devant la communauté française rassemblée dans un grand hôtel, après sa visite à Novo-Ogarevo. « Je ne sais pas qui a inventé ce système des sanctions, mais ils ignorent l’histoire ! » s’est exclamé l’ancien président français, en prenant ainsi position en faveur de la levée des mesures restrictives européennes imposées à la Russie pour son rôle dans le conflit ukrainien. « Je suis très attaché au lien transatlantique mais où est-il dit que nous devions suivre aveuglément nos alliés ? », a-t-il poursuivi, ajoutant : « J’aurais été président, jamais je n’aurais laissé sortir la Russie du G8, déjà que je le trouvais trop petit ! »

Répondant à une question d’un sympathisant sur la vente des navires de guerre Mistral, conclue sous sa présidence puis dénoncée par son successeur à l’Elysée, sa mise au point a été des plus sèches : « Sans doute que nous n’avons pas la même notion géographique avec M. Hollande, lui pense qu’on peut envahir Donetsk [fief des séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine] avec ! »

Mais de ces bateaux, il n’a jamais été question avec M. Poutine. Un mois après le début de l’engagement militaire de la Russie au côté du régime de Damas, et à la veille d’un sommet à Vienne (Autriche) des intervenants extérieurs dans le conflit syrien, l’échange a surtout porté sur le sort de ce pays dévasté depuis plus de quatre ans par une guerre civile et de son dirigeant. « Bachar Al-Assad a sur la conscience la mort de 250 000 de ses compatriotes, a redit M. Sarkozy, comme il l’avait fait, au matin, devant les étudiants moscovites. Il a utilisé l’aviation et l’arme chimique contre sa population, ce n’est pas un détail (…) Il ne peut pas représenter l’avenir ».

Sur ce point, le chef du parti Les Républicains ne se démarque pas de la position adoptée par M. Hollande, à ceci près que le départ du dirigeant syrien ne constitue pas un « préalable » à ses yeux pour tenter de chercher une solution alternative « dans les rangs de sa famille, du parti Baas ou de la minorité alaouite ». « Entre Assad jusqu’à la fin et Assad départ demain matin, il y a peut-être un équilibre à trouver ». Et sur ce point, la position du chef du Kremlin lui est apparue « beaucoup moins en abscisse et en ordonnée qu’on ne le dit ».

 

« Politique insensée »

Au passage, M. Sarkozy s’est affranchi des critiques – souvent émises à Moscou − sur l’intervention en Libye dont il avait pris la tête en 2011 et qui a conduit à la chute, et à la mort de son dirigeant, Mouammar Kadhafi. « Si Bachar et Kadhafi, ou même Ben Ali, avaient été des remparts contre l’islamisme, nous n’en serions pas là aujourd’hui », a-t-il lancé.

Restait un autre gros dossier abordé avec M. Poutine, l’Ukraine. Autant le sujet avait été éclipsé lors de son intervention devant les étudiants, autant M. Sarkozy est revenu plus en détail dans la soirée sur le sujet devant la communauté française. L’occasion, là aussi, de critiquer sans les nommer directement « ceux qui veulent intégrer à toute force l’Ukraine dans l’Union européenne, une politique insensée ». « Si vous obligez l’Ukraine à choisir une rive, vous la coupez de l’autre, a-t-il souligné, vous la faites exploser et c’est ce qui est en train de se passer. Je voudrais qu’on sorte de cette logique de sphères d’influence. » Les frontières de l’Ukraine, a-t-il ajouté, doivent être « respectées » tout comme les accords de Minsk « des deux côtés », moyennant quoi la question de la Crimée, annexée par la Russie, est refoulée.

« Personne de crédible, à ma connaissance, ne demande le retour de la Crimée à l’Ukraine, a assené M. Sarkozy. Sur le fond, personne ne conteste qu’à part peut-être les Tatars de Crimée, l’immense majorité de la population était pour le rattachement à la Russie. Sur la forme, il y aurait beaucoup à dire. Le droit international n’a pas été respecté, mais il y a besoin de quelques mois, peut-être quelques années pour apaiser les choses. Laissons vivre une situation pour qu’elle trouve sa place. » Pour l’ancien président français, qui a pris soin de souligner à satiété le rôle de « grande puissance » de la Russie, « nous ne devons à aucun prix accepter une nouvelle guerre froide ». Surnommé il n’y a pas si longtemps encore « Sarkozy l’Américain » pour sa politique atlantiste, l’opposant de François Hollande est reparti de Moscou dans les habits de « Sarkozy le Russe ».



30/10/2015
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