Suisse-Regard

Suisse-Regard

Interview exclusive. Bygmalion : Jérôme Lavrilleux enfonce Nicolas Sarkozy

Nouvelobs.com

 

Le 13-10-2015

Polémique

 

Par Violette Lazard

 

L'ex-directeur adjoint de campagne de Nicolas Sarkozy livre sa vérité sur les dérapages financiers. Pour lui, l'ex-président savait. Il raconte aussi avoir été menacé : "Il m'arrive d'avoir peur".

 

Vendredi 9 octobre, quand il arrive au pôle financier en compagnie de ses avocats pour une confrontation avec les autres mis en examen de l’affaire Bygmalion, Jérôme Lavrilleux tire derrière lui une grosse valise noire. "Que contient-elle ?" demandent les journalistes présents sur place à l’ancien directeur adjoint de campagne de Nicolas Sarkozy. Des pièces compromettantes ?

Jérôme Lavrilleux ne peut s’empêcher de lâcher une petite phrase pour faire trembler les sarkozystes devenus ses adversaires. "Il y a tout ce qu’il faut" pour répondre aux questions, glisse-t-il. Quand nous le rencontrons le lendemain, à Saint-Quentin (Aisne), Jérôme Lavrilleux sourit de l’anecdote :

 

Dans ma valise, il y avait surtout du linge sale, au sens propre du terme. J’arrivais de Strasbourg, où j’ai passé toute la semaine, et j’avais donc mes affaires à laver !"

 

Lorsqu’il évoque l’affaire Bygmalion, qui a pris une nouvelle dimension début septembre avec l’audition comme témoin de Nicolas Sarkozy, l’ex-bras droit de Copé se montre moins bravache. Le système des fausses factures, nous dit-il, résulte d’une stratégie collective mise en œuvre par l’entourage de Nicolas Sarkozy pour gagner à tout prix. Selon lui, l’ex-président en avait connaissance.

Le Jérôme Lavrilleux qui nous a accordé cet entretien n’est plus un homme à terre. Il s’est relevé. Il affiche même un petit sourire, assure que son mandat de député européen le passionne, confie qu’il se prépare pour sa nouvelle vie, celle qu’il débutera après une condamnation jugée inévitable. Mais, surtout, il évoque les pressions qu’il subit. A l’entendre, laver son linge sale en public pourrait constituer un danger de mort.

 

18 millions d’euros de fausses factures ont été réglées par l’UMP en 2012 à la société Bygmalion. A quoi a servi cette somme ? Personne n’est d’accord. Avez-vous réussi à vous entendre lors de la confrontation devant le juge ?

- Jérôme Lavrilleux : Non, pas du tout. Mais, moi, je répète ce que je dis depuis le début : cet argent a servi à financer une campagne qui a totalement dérapé, malgré ce que dit le camp Sarkozy. Je ne suis pas à l’initiative de ce système des fausses factures, je ne suivais pas les finances de la campagne, mais j’ai été mis au courant de cette fraude après la fin de la présidentielle, et je ne l’ai pas dénoncée.

 

Lors de son audition devant les enquêteurs début septembre, Nicolas Sarkozy a qualifié cette thèse de "farce". "Ma campagne de 2012 n’a en aucune façon dérapé", assure-t- il. Qu’en dites-vous ?

- Je vais vous dire quelque chose que je n’ai jamais dit, et dont j’ai la certitude, conforté par la lecture du dossier aujourd’hui : les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 ont dérapé, et pas seulement le budget consacré aux meetings. Il ne faudrait plus appeler cette affaire "Bygmalion", mais celle des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy.

Rien n’a été contrôlé. Il suffit de regarder les comptes du parti en 2012 pour s’en apercevoir. Tout cela figure dans l’instruction. Concernant la ligne budgétaire de la présidentielle, l’UMP avait prévu de dépenser 2,5 millions d’euros cette année-là. Combien ont été finalement payés par l’UMP ? Dix millions, en plus des fausses factures de Bygmalion !

 

LireLes hommes clés de la campagne de Sarkozy 

 

Dix millions ? Mais à quoi ont-ils servi ?

- Je ne sais pas précisément. Sans doute à financer des affiches, à payer les transports des militants… Sauf qu’on ne peut pas demander à la SNCF ou à d’autres prestataires, comme à Bygmalion, de modifier leurs factures !

 

Pour résumer, la campagne de Nicolas Sarkozy aurait coûté 22,5 millions d’euros, le plafond autorisé, somme à laquelle il faut ajouter les 18 millions de fausses factures de Bygmalion et les 10 millions dont vous révélez l’existence aujourd’hui. Selon vous, les frais de campagne s’élèveraient donc à 50 millions d’euros ?

- Oui, les comptes ont débordé de tous les côtés. Il n’y a que Nicolas Sarkozy pour dire dans sa déposition que cette affaire ne concerne pas sa campagne… C’est un système de défense voué à un échec total. Il adopte le même dans toutes les affaires où il est entendu : c’est pas moi, c’est l’autre.

Dans Bygmalion, il dit : "C’est pas moi, c’est Copé." Il se défausse, il vit dans un monde irréel, et ne sait pas assumer. Les grands chefs sont pourtant ceux qui assument. L’ingratitude est la marque des faibles.

Mais je suis serein et confiant. L’expertise des factures de la société Event & Cie [chargée des meetings au sein de Bygmalion, NDLR], confiée à une personne indépendante, montrera, comme l’enquête le prouve, où sont partis les 18 millions d’euros.

 

"Il m’arrive d’avoir peur"

 

- Pourtant, vous envoyez un SMS au directeur de campagne Guillaume Lambert fin avril 2012, une semaine avant le second tour. "Nous n’avons plus d’argent. JFC [Jean-François Copé] en a parlé au PR [le président de la République]", écrivez-vous. D’après Nicolas Sarkozy, ce texto prouve que vous étiez tenu au courant de l’état financier de sa campagne en temps réel, alors que vous affirmez l’inverse.

- Sur ce point, c’est simple : Nicolas Sarkozy ment. Ce SMS ne concerne ni le compte de campagne ni les dépassements. Nous parlons des banques qui ont bloqué les crédits pour le candidat et le parti car elles savent que nous allons perdre. Une intervention en haut lieu a été nécessaire pour débloquer l’argent. Nicolas Sarkozy sait donc très bien à quoi cet échange fait allusion.

 

Vous dites avoir été averti du système des fausses factures après le second tour. Nicolas Sarkozy a-t-il également été mis au courant ? Et à quel moment ?

- Je ne le sais pas. Je remarque juste que, lors de sa déposition, l’ancien chef de l’Etat indique avoir utilisé les moyens de l’Elysée, par le biais de ses conseillers présidentiels, pour préparer sa candidature, puis pour mener sa campagne au jour le jour. Cela est strictement illégal et c’est très symptomatique du fait que durant cette campagne tout le monde s’est affranchi des règles.

L’hypothèse à laquelle je croyais au départ, celle d’une campagne qui a dérapé de façon incontrôlée car Guillaume Lambert n’était pas l’homme de la situation, ne me paraît plus valable. Toute la hiérarchie, de haut en bas, a bafoué les règles de façon calculée et admise pour gagner à tout prix.

 

Lire Face à la police, Sarkozy enfonce Copé

 

De façon calculée… mais par qui ?

- Pas par moi ! Je suis décrit par Nicolas Sarkozy dans sa déposition comme un quasi-majordome, qui devait simplement lui dire que la salle était pleine. J’avais pensé, dans l’enthousiasme de la campagne, être au moins un soldat qui organisait des réunions publiques pour aider son candidat à gagner.

Toujours est-il que vu le peu d’importance qu’il me prête, je ne peux pas être le grand manitou de ce système comme certains de ses proches le disent.

 

Si ce n’est vous, qui est responsable ?

- L’erreur majeure de Nicolas Sarkozy est d’avoir pris pour mener sa campagne des gens qui le traitaient en fait comme un président de la République, dont les désirs étaient des ordres.

 

Son entourage est donc le seul responsable de cette dérive financière ?

- Je ne protège personne, mais il m’arrive d’avoir peur. Je n’ai pas envie d’apprendre à nager dans 20 centimètres d’eau comme Robert Boulin. J’ai dit à mes proches que si un jour j’avais un accident de voiture, il faudrait faire une expertise. C’était de l’humour noir… quoique.

 

"On m’a épluché, réépluché"

 

Avez-vous reçu des pressions, des menaces, même voilées ?

- D’abord, on m’a viré de l’UMP comme un malpropre. On a fait courir des rumeurs crapoteuses. Aujourd’hui, je croise encore des proches de Nicolas Sarkozy. Certains me disent : "Alors, c’est pas trop dur ?" L’autre fois, un de ses très très proches m’a dit : "Attention, ça va mal se terminer… Il y a une commission rogatoire en Espagne, et ils ont trouvé de l’argent." Il n’y a jamais eu de commission lancée dans ce pays. C’est juste de l’intimidation.

Mais il faut être solide, car je parle de gens qui ont exercé de très hautes responsabilités. En juillet dernier, un sarkozyste me lance, en me voyant dans un couloir : "Mais c’est monsieur Lavrilleux, l’homme qui renseigne la presse ?" Ce sont des gens bien qui me disent ça, des futurs Premiers ministres…

Il leur arrive aussi d’être plus avenants. Quand je dis que ma carrière politique va s’arrêter, ils me répondent : "Oh ! tu sais, en politique, il ne faut préjuger de rien…"

 

Le clan Sarkozy soutient que Bygmalion et ses amis, dont vous faites partie, se sont enrichis.

- On m’a foutu à poil dans tous les sens, on m’a épluché, réépluché, je n’ai rien à cacher. Je ne me fais aucun souci là-dessus. Et j’ai la conviction qu’en ce qui concerne les prestations facturées par Event & Cie rien n’a donné lieu à la constitution d’une cagnotte, personne ne s’est enrichi. Je ne peux pas garantir qu’il en soit de même pour les autres agences, comme Publics, qui ont travaillé également pour la campagne.

Moi, contrairement à Claude Guéant, je n’ai jamais eu de coffre-fort dans lequel on pouvait entrer debout, ni avant, ni pendant, ni après la campagne. Contrairement à ceux de Sarkozy, ni mon actuel ni mon ancien directeur de cabinet n’ont jamais passé une semaine sur le banc des prévenus pour avoir détourné de l’argent public via des primes en liquide…

 

Voyez-vous toujours Jean-François Copé ?

- Nous nous voyons une ou deux fois par mois. Copé est quelqu’un qui ne lâche pas les gens. Voyez comment lui a eu l’élégance de réagir avec Nadine Morano, fidèle d’entre les fidèles de Sarkozy. Nous parlons politique, mais je ne suis plus son conseiller quotidien, c’est une conversation amicale.

 

A la rentrée, Copé a réuni plusieurs parlementaires. Il est très actif, multiplie les déplacements, les réunions avec des militants. Envisage-t-il son retour en politique ?

- Il a très exactement réuni 45 parlementaires, 42 députés et trois sénateurs. Et François Fillon n’en a réuni que 15. Or, je remarque qu’il faut le soutien de 20 parlementaires pour la primaire de l’UMP…

 

Lui conseillez-vous de se présenter à la primaire ?

- Cela ne peut relever que de sa volonté. Et ça ne peut pas juste être une affaire de circonstances. C’est à lui de sentir s’il est porteur d’une envie suffisamment forte pour entrer dans une campagne présidentielle.

Pour le faire, il faut être habité par quelque chose qui moi me dépasse. Je ne souhaite à personne de vivre ce type de campagne, même pas à ceux que je déteste et il y en a beaucoup !

 

"Sans l’affaire Bygmalion, je serais encore dans ce bordel"

 

Vous ne ferez plus jamais de politique ?

- Non. Je sais que je vais être poursuivi devant un tribunal et vraisemblablement condamné. Je vais finir mon mandat de député européen, puis je vais changer de vie. Tout est planifié.

Pour le moment, je travaille beaucoup à Bruxelles, je fais ce que j’aime. Je n’obéis plus à personne. Je ne suis plus là, dans l’instantanéité, à répondre aux petites phrases, à préparer des coups montés pour les uns et les autres… Je me rends compte avec le recul que tout cela était extrêmement avilissant.

 

Lire Lavrilleux : exclu à Paris, chouchou à Bruxelles

 

Avilissant ? C’est un mot très fort, très dur…

- Oui, mais j’ai été conduit à faire des choses avilissantes pour faire plaisir aux chefs. Quand vous dézinguez quelqu’un qui se place sur la route de votre boss, quand vous lâchez des petites phrases pour lui nuire… tout cela en fait avilit celui qui le fait, plus que celui qui est visé.

Mais attention, je ne cherche pas à me faire une nouvelle virginité, je m’en fiche, je constate simplement. Ces choses-là, on ne s’en rend compte que lorsqu’il est trop tard. Sans l’affaire Bygmalion, je serais encore dans ce bordel, en dehors de toutes réalités, je ne regrette pas d’en être sorti. Quand je repense par exemple à la guerre interne à l’UMP…

 

Comment avez-vous vécu cet affrontement Copé-Fillon ?

- J’en suis sorti dans un état d’épuisement absolu, d’autant plus que j’avais derrière moi un an de campagnes présidentielle, législative puis interne au parti. Le vendredi suivant les résultats définitifs de l’élection à l’UMP, je suis resté comme paralysé, pétrifié sur mon fauteuil. J’entendais ce qui se passait autour de moi, mais je ne pouvais rien faire.

J’avais des larmes qui coulaient sur mes joues, je ne les maîtrisais pas. Mes collaborateurs ont d’abord cru que j’avais un coup de mou, ils m’ont laissé seul, puis ils ont vu que je ne pouvais plus bouger. Le médecin appelé de toute urgence m’a reconnu immédiatement, car j’étais sur toutes les chaînes d’info depuis des semaines.

Il m’a dit : "Ah, c’est vous ? Je sais ce que vous avez…" Il m’a fait une piqûre dans la cuisse. Et c’était reparti. Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir demandé quel était ce produit !

 

Ce conflit interne à l’UMP, dans lequel vous êtes apparu comme l’un des porte-flingues de Copé, c’est ce que vous regrettez le plus ?

- Avec le recul, je sais que nous aurions dû dire : "Nous avons gagné, de peu mais nous avons gagné, nous en sommes certains. Notre adversaire François Fillon est mauvais joueur et incapable de le reconnaître. Organisons donc un nouveau scrutin." Et là nous aurions gagné avec 80 % des voix.

Mais nous trouvions ça tellement injuste… Tout le monde s’est acharné contre nous alors que nous étions dans notre bon droit. Pour un certain microcosme, la victoire revenait forcément au notaire de province, capable de dénoncer son ancien président pour en récupérer le poste. Et pas au juif qui avait pourtant convaincu ses électeurs.

 

Au juif ? Vous pensez vraiment que cette analyse est juste ?

- Consciemment ou inconsciemment, oui. Franz-Olivier Giesbert a tout de même dit que Copé devait retourner dans les égouts. Qui vit dans les égouts ? Les rats. Ça rappelle de drôles d’images de la Seconde Guerre mondiale.

 

Si Jean-François Copé repart en politique, l’accompagnerez-vous ?

- J’irai plier des tracts… et je ferai des prières pour son directeur de campagne.

 

Propos recueillis par Violette Lazard

 

À lire aussi

 

 



14/10/2015
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres