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Le programme économique du FN passé au crible

Le Point.fr

 

Le 09/12/2015

Politique Internationale

 

Par Marc Vignaud

 

Les électeurs du FN expliquent leur vote par la situation économique et sociale. Mais les solutions de Marine Le Pen peuvent-elles changer la donne ?

 

Comment expliquer un tel succès pour le Front national au premier tour des élections régionales ? Pour les électeurs du FN, c'est clair, c'est la situation économique et de l'emploi qui justifie leur choix, plus que la sécurité et les attentats, selon deux sondages (Opinion Way et Harris interactive) publiés lundi. La question est dès lors posée : au-delà de la région, le projet économique national du parti de Marine Le Pen peut-il réellement améliorer leur sort ? Tout son édifice, expliqué en détail sur son site internet, repose sur deux piliers : l'instauration d'un protectionnisme « intelligent » et la sortie de l'euro. Décryptage.

 

« Le protectionnisme intelligent »

« Ce que vous dites aux Français, c'est qu'on ne peut pas s'en sortir parce qu'on ne peut rien faire, parce qu'il y a l'Union européenne, parce que si on commence à faire du protectionnisme, il y aura des rétorsions. » Voilà comment le FN accuse Les Républicains et le PS d'encourager la désindustrialisation de l'Hexagone, à l'image de son vice-président Florian Philippot face à Emmanuel Macron dans l'émission de France 2, Des paroles et des actes, en mars dernier.

Une fois émancipé des règles adoptées en commun avec les partenaires européens de la France, le parti se fait fort d'instaurer des « protections intelligentes aux frontières face à la concurrence internationale déloyale », sous forme « de droits de douane ciblés » et de « quotas d'importation ». De tels tarifs douaniers épargneraient « les pays de niveau économique, social et environnemental comparable comme l'Allemagne ou les États-Unis », précise le parti sur son site internet.

Sur ce point, une certaine confusion demeure pourtant. En 2012, Marine Le Pen proposait en effet d'instaurer « une contribution sociale sur l'importation, d'un montant de 3 %, sur l'ensemble des biens et des services importés chaque année en France de l'étranger », afin de financer une baisse de charges pour les salariés en dessous de 1,4 smic. Jugée depuis inconstitutionnelle, la proposition est pourtant toujours mise en avant sur le site.

 

Seule face à la Chine

À supposer que le protectionnisme proposé par le FN soit limité à certains pays, peut-il être la solution miracle pour réindustrialiser la France ? « Attention aux boucs émissaires. Ce raisonnement implique que notre déficit commercial vienne d'abord des pays à bas coûts. Les statistiques du commerce français montrent effectivement un gros déficit avec la Chine, essentiellement lié aux produits électroniques et au textile. Mais notre déficit avec l'Allemagne et la Belgique atteint exactement le même montant, un peu plus d'une vingtaine de milliards. L'essentiel de notre déficit commercial vient en réalité de la zone euro, à hauteur de quarante milliards. En quinze ans, la France a perdu tous ses excédents avec ses partenaires de la zone, y compris les pays du Sud comme l'Italie, l'Espagne, le Portugal, sauf la Grèce ! À supposer qu'on se protège de la Chine, on aura donc résolu à peine la moitié de notre problème », relativise l'économiste Emmanuel Combe*.

Est-ce une raison pour ne pas se protéger du tout ? Pas forcément. Mais les bénéfices à attendre sont très incertains. Tout simplement parce que les pays visés auront tendance à répliquer. Lorsque l'Europe a menacé de taxer les panneaux solaires chinois en 2013, ces derniers ont immédiatement menacé de taxer le vin européen en représailles. Grâce à son poids économique, l'Union européenne a réussi à négocier un compromis et a instauré un prix minimum et un quota. Les droits de douane peuvent même atteindre plus de 40 % lorsque le volume autorisé est dépassé ! Ces restrictions aux importations chinoises viennent d'être prolongées de 15 mois à la demande de l'industrie européenne. La France ferait-elle mieux toute seule ? La réponse n'a rien d'évident.

 

« La restauration de la souveraineté monétaire »

L'autre pilier du programme économique du FN repose sur le retour au franc, afin de faire baisser le prix des produits français et de relancer les exportations. Là encore, faut-il y voir la solution miracle, comme le laisse croire Marine Le Pen ? Le bénéfice à attendre serait d'autant plus faible que la Banque centrale européenne (BCE) a déjà beaucoup fait baisser l'euro pour lutter contre la menace de déflation, cette spirale de baisse des prix qui incite ménages et entreprises à retarder achats et investissements et fait plonger l'économie en récession.

En théorie, un pays en déficit commercial comme la France peut s'ajuster grâce à une dépréciation de sa monnaie : moins chères, les exportations finissent par rattraper les importations. Mais ce mécanisme d'ajustement en système de changes flottants est de plus en plus remis en question. C'est ce qu'a expliqué le Français Benoît Coeuré lors d'un discours prononcé à Berkeley aux États-Unis le 21 novembre. Selon ce membre du directoire de la BCE, le fractionnement du processus de production au travers de nombreux pays réduit les bénéfices d'un taux de change plus faible pour les entreprises exportatrices, car il renchérit aussi leurs importations.

 

Un taux de change difficile à contrôler

Le bénéfice serait encore limité par la dévaluation de nos voisins. En effet, en cas d'abandon de l'euro, même négocié avec l'Allemagne, comme le propose le FN, d'autres pays reviendront eux aussi à leur monnaie nationale, ce qui signerait le retour à la guerre européenne des changes, qui avait justement motivé le passage à la monnaie unique.

Avoir une monnaie purement nationale ne garantit d'ailleurs pas un contrôle absolu du taux de change. Sa valeur dépend de plus en plus des mouvements de capitaux internationaux. Une France dirigée par le FN qui instaurerait un « protectionnisme intelligent », tout en négociant une sortie de l'euro avec l'Allemagne, serait probablement confrontée à la fuite des investisseurs et donc à un effondrement du franc. Les Français seraient alors frappés au portefeuille par le renchérissement de tous les produits importés qui ne sont plus produits dans l'Hexagone depuis longtemps, et qui seraient difficiles à remplacer du jour au lendemain (téléviseurs, iPhone, vêtements, etc.).

Ce risque inflationniste serait d'autant plus fort que pour financer d'énormes dépenses, le FN veut confier à la Banque de France le soin de financer la dette française, à hauteur de 100 milliards d'euros par an. Là encore, le gain potentiel de ce financement monétaire automatique serait extrêmement limité, puisque la Banque centrale européenne s'est déjà lancée dans ce type de politique pour faire face à la crise. L'État français s'endette déjà à des taux historiquement bas, tout en profitant de la crédibilité de la BCE, liée à son indépendance. La Banque de France, elle, n'en aurait aucune, à cause de sa dépendance au pouvoir politique.

* Professeur de sciences économiques à l'université de Paris-I, professeur affilié à ESCP Europe, coauteur, avec Jean-Louis Mucchielli, de la note « Le protectionnisme intelligent est une imposture, 8 arguments contre les idées fausses du Front national » pour le think tank libéral Génération libre de mars 2015.

 

Encadré


Si tout le programme économique du FN repose sur la sortie de l'euro et l'instauration d'un protectionnisme intelligent, les autres propositions affichées sur son site internet sont-elles crédibles ? Décryptage.

- Retour à la retraite à 60 ans

"L'âge légal sera progressivement ramené à 60 ans"

Alors que la France est déjà le pays de l'OCDE où l'on vit le plus longtemps à la retraite, le FN propose de revenir en arrière. Reste à savoir comment financer une telle mesure même s'il elle peut être séduisante sur le papier.

- Temps de travail


« Afin de ne pas perturber à nouveau grandement le fonctionnement du marché du travail et des conditions d'emploi des salariés dans les entreprises françaises, les lois sur le temps de travail hebdomadaire de 35 heures ne seront pas revues, en revanche la renégociation sera autorisée à la condition qu'elle s'accompagne d'une augmentation proportionnelle du salaire. »

Le FN prône en réalité le statu quo sur le temps de travail, puisque la législation actuelle permet déjà aux entreprises de négocier une augmentation du temps de travail. De nombreux cadres ou salariés autonomes sont au « forfait jour » et ne comptent pas leurs heures. Pour les autres, la seule contrainte pour les entreprises est de payer les heures supplémentaires de 10 % à 25 % plus cher qu'une heure normale. Le FN veut-il supprimer cette majoration supplémentaire au-delà de 35 heures ? Il se garde en tous cas bien de le dire officiellement.

- Représentativité syndicale

« Une grande réforme des syndicats sera mise en œuvre, avec comme objectif principal d'assurer une meilleure représentation des salariés. Le monopole de représentativité institué après la Libération sera supprimé, et les modalités d'élection des représentants des salariés seront revues. Des syndicats plus représentatifs travailleront mieux à la réelle défense des intérêts des salariés : ils seront en effet plus à même d'entrer dans des logiques de concertation constructives et moins tentés de recourir à un rapport de forces (grève, manifestation) pour pallier leur manque de légitimité. »

Le FN devrait se mettre à la page sur ce point. Depuis 2013, le monopole de représentativité des syndicats n'existe plus. Leur poids dépend de leurs résultats aux élections professionnelles. Un changement impulsé par Xavier Bertrand, en… 2008.

- Lutte contre le travail clandestin

« Parce qu'il constitue une concurrence déloyale au marché légal du travail, l'emploi de travailleurs clandestins sera très sévèrement sanctionné. L'employeur sera passible de sanctions pénales et de la fermeture administrative de son établissement. »

C'est déjà le cas : un employeur est pénalement responsable en cas d'emploi de travailleurs clandestins. Il encourt 5 ans d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende par employé clandestin. L'amende peut monter à 75 000 euros quand plusieurs salariés sont concernés. L'établissement peut être fermé provisoirement et les réductions de cotisations sociales supprimées. Un plan national d'action pour la lutte contre le travail illégal a été lancé en 2015. Dans ce cadre, la lutte contre les abus sur la directive des travailleurs détachés, qui permettent à un salarié d'un autre État membre de l'Union européenne de venir travailler temporairement au salaire français, mais avec le niveau de charges de son pays d'origine, ne cesse d'être renforcée. Un donneur d'ordre peut être tenu responsable pour les pratiques d'un sous-traitant. En cas de fraude constatée, l'État peut désormais interdire à l'entreprise de continuer à employer des travailleurs détachés. 

- Préférence nationale

« Les entreprises se verront inciter à prioriser l'emploi, à compétences égales, des personnes ayant la nationalité française. Afin d'inciter les entreprises à respecter cette pratique de priorité nationale, une loi contraindra Pôle emploi à proposer, toujours à compétences égales, les emplois disponibles aux demandeurs d'emploi français. Les administrations respecteront également ce principe, et la liste des emplois dits “de souveraineté” sera élargie, notamment dans les secteurs régaliens où les professions seront réservées aux personnes ayant la nationalité française. »

C'est déjà en partie le cas. Si les ressortissants européens ne connaissent pas de restrictions, un employeur qui souhaite embaucher un salarié extra-communautaire doit demander l'autorisation à la direction départementale des entreprises et du travail (Direccte). Celle-ci « vérifie la situation de l'emploi dans la profession et le bassin d'emploi concernés. Elle tient compte des éventuelles spécificités du poste de travail et des recherches effectuées par l'employeur pour recruter un demandeur d'emploi (notamment auprès de Pôle emploi). Il s'agit du critère le plus difficile à remplir. L'administration peut refuser l'autorisation si le niveau de chômage est trop important pour le métier dans le bassin d'emploi considéré », précise le site Service-Public.fr. La situation de l'emploi n'est pas opposée s'il existe des difficultés de recrutement pour le métier proposé. Trente métiers, définis par région, sont ainsi inscrits sur la liste de métiers « en tension ». Une liste élargie pour quelques pays d'Afrique.

- Contrôle des prix

« Les prix de certains produits alimentaires de première nécessité (lait, pain, sucre, beurre, farine, etc.) feront l'objet d'un encadrement légal afin d'en assurer l'accès à tous les revenus, y compris les plus modestes. »

Le retour au contrôle des prix, supprimé en… 1987, ravira les professionnels concernés, comme les boulangers. De manière générale, la dévaluation risque de peser bien plus sur le pouvoir d'achat qu'une mesure qui pourrait entraîner une baisse de la qualité du pain, voire nécessiter un contrôle du prix du blé (pour contrôler celui de la farine), ce qui déclencherait une spirale de contrôle des prix.

- Tarifs réglementés

« S'agissant des services publics commerciaux (transport, énergie notamment), l'État réglementera les tarifs de l'électricité et du gaz, il imposera des tarifs plafonds à tous les opérateurs des transports publics locaux. »

C'est là encore déjà le cas pour le gaz et l'électricité des particuliers. Quant aux prix des transports locaux, il est déjà largement subventionné, une facture réglée par tous les contribuables via leurs impôts.



09/12/2015
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