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Les salaires minimaux

Le Temps.ch

 

Le 15-10-2015

Economie Suisse

 

Par Gabriel Aubert

Avocat au barreau de Genève, Professeur honoraire

 

Les salaires minimaux se mettent en place progressivement, dans les cantons ou au niveau suisse. Parfois, il s’agit de lutter contre la concurrence de travailleurs frontaliers ou étrangers, parfois d’éviter la péjoration des conditions de travail dans tel ou tel métier, indépendamment de toute intervention de la main-d’œuvre étrangère

 

Le peuple suisse a rejeté en 2014 l’initiative populaire tendant à la fixation d’un salaire minimum suisse. L’un des motifs du refus fut que, selon la législation actuelle, la Confédération et les cantons peuvent édicter, dans le cadre de contrats types, des salaires minimaux obligatoires dans la branche ou la profession.

Ces salaires minimaux se mettent en place progressivement, dans les cantons ou au niveau suisse. Parfois, il s’agit de lutter contre la concurrence de travailleurs frontaliers ou étrangers, parfois d’éviter la péjoration des conditions de travail dans tel ou tel métier, indépendamment de toute intervention de la main-d’œuvre étrangère.

Comme on sait, la situation est particulièrement difficile au Tessin, vu les méthodes parfois subtiles utilisées par les entreprises suisses ou italiennes pour profiter des différences de salaire entre les deux pays, d’une part, et de la grande disponibilité de la main-d’œuvre italienne, d’autre part. La négligence du cas tessinois, par les autorités fédérales, a joué un rôle décisif dans le vote du 9 février 2014, qui a précipité la Suisse dans une situation diplomatique dont on ne voit guère l’issue.

Il n’est donc pas étonnant que le Tribunal fédéral ait eu récemment l’occasion de rendre deux arrêts relatifs à la protection des travailleurs dans ce contexte tendu.

Le premier résulte d’un recours intenté par l’Ordre des avocats tessinois qui s’en prenait – non sans bravoure – à la fixation d’un salaire minimum au bénéfice des employés de commerce dans les cabinets d’avocats. Loin d’aider les recourants, la décision du Tribunal fédéral consolide le mécanisme légal.
Comme on se rappelle, ce dernier subordonne la fixation d’un salaire minimum à deux conditions: d’une part, la présence d’un abus; d’autre part, le caractère répété de cet abus.

S’agissant de la constatation de l’abus, le Tribunal fédéral renonce à effectuer de savants calculs. Au contraire, pour déterminer le salaire de référence (au-dessous duquel la rémunération devient abusive), il s’en remet à la commission tripartite cantonale (employeurs-syndicats-Etat), dont il reconnaît que la décision revêt un caractère politique et législatif. Ici, la commission a choisi comme point de comparaison les salaires fixés par la convention collective tessinoise des employés de commerce. Le Tribunal fédéral a repris tels quels ces salaires.

En outre, il s’agissait de déterminer si les abus étaient répétés, le législateur fédéral ayant renoncé à l’adoption de contrats types impératifs pour faire face à des situations purement individuelles. Le Tribunal fédéral a admis que les abus étaient répétés si l’enquête révélait dans au moins 5% des cas un écart entre les salaires pratiqués par les avocats et le salaire de référence. En l’occurrence, cette proportion était atteinte; bien plus, il apparaissait que les salaires convenus dans la période récente accusaient une baisse significative.

Le second arrêt concernait le travail intérimaire, auquel les employeurs recourent parfois pour diminuer leurs coûts.

Le Conseil d’Etat a jugé nécessaire de fixer un salaire minimum de 17,80 francs pour la main-d’œuvre non qualifiée et de 23,80 francs pour la main-d’œuvre qualifiée. Ces salaires méritaient de se voir conférer un caractère impératif dans plusieurs branches, des écarts ayant été constatés dans 90% des entreprises de l’industrie graphique, dans 63% des entreprises de l’industrie pharmaceutique, dans 61% des entreprises de l’industrie alimentaire et dans 8% des entreprises de l’industrie des machines. En revanche, le Tribunal fédéral a jugé inutile la fixation de salaires minimaux dans celles de l’industrie horlogère et dans les transports publics, les écarts n’ayant été constatés que dans 4% des premières et dans aucune des seconds. Ces décisions de justice en disent sans doute plus long que les déclarations enflammées auxquelles donnent lieu les élections fédérales!

 



16/10/2015
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